Frédéric Bastiat
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Libre-Échange, n° du 2 janvier 1848.
Un journal émané de la classe laborieuse, la Ruche populaire, fait remonter au travail l’origine de la propriété. On est propriétaire de son œuvre. Nous pensons absolument comme ce journal.
En même temps, il attaque la liberté d’échanger. Nous l’adjurons de dire, la main sur la conscience, s’il ne se sent pas en contradiction avec lui-même. Est-ce être propriétaire de son œuvre que de ne la pouvoir échanger sans blesser l’honnêteté et en payant l’impôt à l’État ? Suis-je propriétaire de mon vin, si je ne le puis céder à un Belge contre du drap, parce qu’il déplaît à M. Grandin que j’use du drap belge ?
Il est vrai que la Ruche populaire ne donne pas d’autre raison de son opposition au libre-échange, si ce n’est qu’il se produit dans notre pays à l’encontre des journaux indépendants. En cela, fait-elle preuve elle-même d’indépendance ? L’indépendance, selon nous, consiste à penser pour soi-même, et à oser défendre la liberté, même à l’encontre des journaux dits indépendants.
La même considération paraît avoir décidé une feuille de Lyon et une autre de Bayonne à se mettre du côté du privilége. « Comment ne serions-nous pas pour le privilége, disent-elles, quand nous le voyons attaquer par les journaux ministériels ? » Donc, si le ministère s’avisait de réformer les contributions indirectes, ces journaux se croiraient tenus de les défendre ? Il est triste de voir les abonnés se laisser traiter avec un tel mépris.
Mais laissons parler le Courrier de Vasconie :
« Il est très-vrai que le Libre-Échange a trouvé pour prôneurs tous les journaux ministériels de France et de Navarre, ce qui prouve, pour nous, une impulsion partie de haut lieu. »
Ce qu’il y a de pire dans ces assertions, c’est que ceux qui se les permettent n’en croient pas un mot eux-mêmes. Ils savent bien, et Bayonne en fournit de nombreux exemples, que l’on peut être partisan de la liberté sans être nécessairement ministériel, sans recevoir l’impulsion de haut lieu. Ils savent bien que la liberté commerciale, comme les autres, est la cause du peuple, et le sera toujours jusqu’à ce qu’on nous montre un article du tarif qui protége directement le travail des bras ; car, quant à cette protection par ricochet dont on berce le peuple, pourquoi les manufacturiers ne la prennent-ils pas pour eux ? pourquoi ne font-ils pas une loi qui double les salaires, en vue du bien qu’il leur en reviendra par ricochet ? Les journaux auxquels nous répondons ici savent bien que toutes les démocraties du monde sont pour le libre-échange ; qu’en Angleterre la lutte est entre l’aristocratie et la démocratie ; que la Suisse démocratique n’a pas de douanes ; que l’Italie révolutionnaire proclame la liberté ; que le triomphe de la démocratie aux États-Unis a fait tomber la protection ; que 89 et 93 décrétèrent le droit d’échanger, et que la Chambre du double vote le confisqua. Ils savent cela, et ce sera l’éternelle honte de nos journaux indépendants d’avoir déserté la cause du peuple. Un jour viendra, et il n’est pas loin, où on leur demandera compte de leur alliance avec le privilége, surtout à ceux d’entre eux qui ont commencé par déclarer que la cause du Libre-Échange était vraie, juste et sainte en principe.
Quant à l’accusation, ou conjecture du Courrier de Vasconie, nous lui déclarons qu’elle est fausse. Le signataire du Libre-Échange affirme sur l’honneur qu’il n’a jamais été en haut lieu, qu’il ne connaît aucun ministre, même de vue, qu’il n’a eu avec aucun d’entre eux la moindre relation directe ou indirecte, que ses impulsions ne partent que de ses convictions et de sa conscience.
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