Lettre à M. Schwabe

Frédéric Bastiat

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Paris, 25 octobre 1848.

… Je vous remercie de vos offres obligeantes. On ne quitte jamais d’aussi bons amis sans projeter de les revoir. Il serait trop cruel de ne pas nourrir cette espérance. Mais hélas ! elle n’est souvent qu’une illusion, car la vie est bien courte et Manchester est bien loin. Peut-être me sera-t-il donné de vous faire les honneurs de mes chères Pyrénées. Je rêve souvent que votre famille, celle de Cobden, celle de Say et moi, nous nous trouverons un jour tous réunis dans une de mes fraîches vallées. Ce sont là des plans que les hommes exécuteraient certainement s’ils savaient vivre.

Paris continue à être tranquille. Les boulevards sont gais et brillants, les spectacles attirent la foule, le caractère français se montre dans toute sa légère insouciance. Ceci vaut encore cent fois mieux que Londres, et pour peu que les révolutions d’Allemagne continuent, je ne désespère pas de voir notre Paris devenir l’asile de ceux qui fuiront les tempêtes politiques. Que nous manque-t-il pour être la plus heureuse des nations ? Un grain de bon sens. Il semble que c’est bien peu de chose.

Je conçois que le choléra vous effraye, vous qui êtes entouré d’une aussi aimable et nombreuse famille. Plus nous sommes heureux par nos affections, plus aussi nous courons de dangers. Celui qui est seul n’est vulnérable que par le point le moins sensible, qui est lui-même. Heureusement que ce redoutable fléau semble tout confus de son impuissance, comme un tigre sans dents et sans griffes. Je me réjouis, à cause de mes amis de l’autre côté du détroit, de voir par les journaux que le choléra n’a de redoutable que le nom, et qu’au fait, il fait moins de ravage que le rhume de cerveau.

Adieu, etc.

Bastiat.orgLe Libéralisme, le vraiUn site par François-René Rideau